TRT Trauma release therapy

Publié le par нар хиртэлт

https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-gestalt-therapie-2014-1-page-100.htm

 

Le travail avec le trauma psychique est un des courants les plus essentiels, les plus demandés et complexes dans la pratique psychothérapeutique actuelle. Les traumas deviennent une réalité inévitable de notre temps. On considère habituellement comme trauma psychique les conséquences des différentes situations extrêmes parmi lesquelles nous pourrions citer les catastrophes naturelles (inondations, tremblements de terre, tempêtes, incendies), mais aussi les attentats, les accidents, les actes de violences, les attaques à main armée, les prises d’otages, etc. Cependant, les traumas psychiques peuvent aussi être provoqués par des situations plus « ordinaires » : divorce, violence domestique, situations de perte, maladies graves, incurables, etc.

2

Cet article sera consacré aux possibilités de l’approche gestaltiste dans le travail avec le trauma psychique et les voies de développement de ces possibilités. En me basant sur mon expérience de travail pratique durant plusieurs années, j’aimerais partager ici quelques idées sur l’intégration de l’approche gestaltiste et d’une nouvelle méthode spécifique de travail avec le trauma : la thérapie somatique du trauma psychique. Il s’agit du travail pratique effectué avec les patients de la Clinique du Département de psychiatrie des borderline du Centre national de recherches en psychiatrie Serbski (Moscou), ainsi qu’avec des clients en pratique individuelle.

3

Tout d’abord définissons le trauma. De façon très générale, le trauma psychologique peut être défini comme une réaction de l’homme à un événement extrême, porteur de stress, qui dépasse le cadre d’une expérience de vie de tous les jours. Le trauma nuit à la santé physique et psychique, blesse la personne, perturbe le contact de l’homme avec son monde environnant et peut avoir un impact négatif sur la vie de l’homme. Le trauma détruit l’intégrité de l’homme et conduit à sa dissociation. On parle de différents types de traumas : trauma de choc, trauma émotionnel et trauma de développement. Les traumas de choc sont provoqués par des événements contenant un danger de mort. Les traumas émotionnels sont produits suite à la perte d’une relation personnelle importante, suite à une violence émotionnelle conduisant à une humiliation, nuisant au moi, à l’estime de soi et au respect de soi. Les traumas de développement viennent des traumatismes de l’enfance influençant le cours du développement personnel de l’enfant et conduisant à la formation de troubles spécifiques dans la structure du caractère de l’adulte.

4

Le traumatisme se vit comme un ébranlement à des niveaux différents de l’activité psychique : au niveau physique (corporel), émotionnel, comportemental, cognitif, au niveau des motivations et des besoins et au niveau des sens. Il faut mentionner également le niveau du contact et de l’interaction entre les personnes.

5

Dans la pratique thérapeutique, le trauma se révèle dans l’expérience émotionnelle du client liée à des situations périlleuses : l’expérience émotionnelle du chagrin, de la peur, de la rage, de la colère, de l’impuissance. Le trauma se manifeste aussi à travers les symptômes traumatiques, comme par exemple les flashbacks, l’insomnie, le comportement d’évitement, les situations récurrentes, la stupeur, les douleurs somatiques, etc.

6

Quelles sont les possibilités qu’offre la gestalt-thérapie dans le travail avec les traumas ? Pour le comprendre il faut s’adresser aux fondements de la gestalt-thérapie, à ses concepts de base : le concept de gestalt comme cycle de l’expérience (ou du contact) et les mécanismes de son interruption, le concept de situations inachevées et la notion d’autorégulation organismique (Mazur, 2003). On peut dire que, lors d’une situation traumatique, il n’y a pas de réalisation complète et successive du besoin dans le cycle de la gestalt, et intervient un mécanisme universel d’interruption du cycle de l’expérience à un de ses stades.

7

De quels besoins peut-il s’agir dans le cas d’un trauma psychologique ? Il s’agit avant tout du besoin de sécurité, de sûreté, de préservation de l’intégrité, de soutien pour les relations importantes émotionnellement, d’affection, de protection de sa propre dignité, de son Moi, du respect de soi. À partir de la gestalt ou du cycle de besoins interrompu il se forme ce que l’on appelle en gestalt-thérapie « une situation inachevée » (Mazur, 1994). Le concept de « situations inachevées » est un concept de base dans la gestalt-thérapie qui explique le mécanisme de formation du trauma. L’inachevé se caractérise par : une tension qui n’arrive pas à se décharger ; une agitation qui s’accumule et ne trouve pas d’issue ; une limitation de la liberté d’agir et de la spontanéité ; une frustration, une fixation sur l’expérience passée, des sentiments de désespoir et d’ennui, un manque d’autonomie et d’intimité. Ces sentiments correspondent aux symptômes de traumas et à la sensation de soi pour une personne traumatisée.

8

Les situations inachevées se manifestent non seulement sous forme de besoins non réalisés mais aussi sous forme de sentiments et d’émotions inachevés qui aspirent vers l’achèvement et n’y parviennent pas. Dans le cas du trauma psychique, peuvent être inachevés par exemple des sentiments de chagrin, de perte, de vexation, de déception, de colère, d’indignation. Le processus d’achèvement de l’expérience traumatique demande de vivre pleinement non seulement ces sentiments négatifs, mais aussi d’avoir une autre expérience, positive : pardonner, faire le deuil, ou encore éprouver de la gratitude, ce qui aide à résoudre de façon complète et à intégrer une situation traumatique. Vivre un trauma ne signifie pas une simple réaction, une expression extérieure des sentiments négatifs, mais un processus de traversée d’une expérience traumatique. Globalement le travail avec les traumas en gestalt-thérapie permet de rétablir l’intégralité du cycle de réalisation des besoins et de surmonter les mécanismes de défense d’interruption du cycle de contact. Pour son travail pratique avec les traumas, la gestalt-thérapie utilise diverses techniques de dialogue, d’expérimentation, tout comme les techniques de travail avec les sentiments et le corps, avec les polarités qui permettent d’achever l’expérience traumatique à différents niveaux (mental, émotionnel et corporel) et de rétablir l’intégrité perturbée dans le trauma.

9

Ainsi la gestalt-thérapie examine avant tout le contenu émotionnel du trauma, et entend ce dernier comme le résultat d’interruption du contact avec l’environnement ou avec autrui, compte tenu des divers facteurs sociaux. Elle offre des moyens de travail surtout pour les traumas du domaine des relations interpersonnelles, pour les traumas émotionnels et les traumas de développement. La gestalt-thérapie peut aider à exprimer et achever des émotions traumatiques, à rétablir l’intégration perturbée des sentiments et des pensées. Soulignons aussi que le travail gestaltiste avec le trauma a pour but, avant tout, la restitution du cycle du contact ou du cycle de réalisation des besoins comme un processus naturel et spontané d’autorégulation au niveau du corps ou, comme le disait Perls, d’autorégulation organismique (Perls, Hefferline R., Goodman P., 1951). Cela veut dire que lors du travail avec le trauma il est nécessaire de prendre en compte les processus corporels naturels en tant que capacité à l’organisme à s’autoréguler. Perls démontre bien théoriquement l’importance de l’auto - régulation organismique, mais ne dit pas comment en pratique travailler avec l’autorégulation du corps, avec quelles méthodes on peut la mettre en action, surtout dans le cas des traumas. Nous ne trouvons pas non plus en gestalt-thérapie de descriptions relatives aux réactions du corps face au traumatisme.

10

Dans la vie d’aujourd’hui les traumas de choc ou les traumas de catastrophes sont très répandus. C’est une forme particulière des traumas, se distinguant des perturbations du contact dans les relations. Il s’agit d’un traumatisme comportant un danger de mort qui se manifeste au niveau organismique profond, au niveau biologique, physiologique. À mon avis, les possibilités de la gestalt-thérapie se révèlent limitées pour le travail avec ce type de traumas. Dans les fondements de celle-ci on ne trouve pas de conception spécifique du trauma comme conséquences des événements extrêmes, de choc, on n’y trouve pas non plus de méthodes de travail avec les traumas. Cela a des raisons historiques. Dans les années 30-50 du siècle dernier, à l’époque de la création des fondements de la gestalt-thérapie, les traumas de choc n’avaient pas une fréquence aussi forte que de nos jours et ne se trouvaient pas au centre de l’attention des psychothérapeutes. La notion du TSPT (Trouble de Stress Post-Traumatique) en tant que conséquence du trauma de choc a été introduite dans la pratique clinique dans les années 80. Pour les raisons qui viennent d’être évoquées, ces traumas, et les troubles qu’ils causent, n’étaient pas étudiés dans la théorie et la pratique gestaltistes classiques. La gestaltthérapie d’aujourd’hui n’a pas beaucoup avancé dans cette direction non plus. Dans les publications russes, le thème du trauma est assez peu représenté, il l’est davantage dans la théorie et la pratique d’autres courants psychothérapeutiques : la psychanalyse, la psychiatrie, la thérapie de groupe. L’expérience du travail pratique en Russie montre que la gestalt-thérapie est utilisée dans le travail avec les traumas des clients exactement comme avec les problèmes « ordinaires », sans prendre en compte la spécificité du trauma, ce qui ne mène qu’au soulagement temporaire de l’état des clients et au retour des symptômes du trauma. Par ailleurs, on constate l’utilisation de méthodes gestaltistes frustrantes dans le travail avec le trauma, ce qui conduit souvent à la retraumatisation du client et à la dégradation de l’état de ce dernier.

11

La gestalt-thérapie, me semble-t-il, a besoin de perfectionner la théorie et les méthodes de travail avec le trauma pour correspondre à l’esprit du temps et répondre aux objectifs d’importance sociale. C’est une thérapie vivante, une thérapie qui évolue, et une des voies de son développement consiste à créer de nouvelles méthodes et conceptions pour la psychothérapie du trauma. En tant que courant intégratif elle se développait traditionnellement à la frontière du contact avec d’autres approches thérapeutiques qui partagent les principes généraux de la psychothérapie. Et son développement actuel se passe également grâce à l’assimilation de l’expérience et des connaissances des courants thérapeutiques actuels. Un courant productif qui fait avancer aujourd’hui le travail avec le trauma est la thérapie somatique des traumas (Mazur, 2010). Ce courant existe depuis plus de quinze ans en Russie dans le cadre de l’approche gestaltiste et il dispose dans son arsenal de méthodes efficaces de thérapie des traumas psychiques. Celles-ci sont déjà utilisées avec succès par les gestalt-thérapeutes dans les cours de formation spécialisés, dans la pratique psychothérapeutique, lors des résidentiels spécialisés (« Guérir un trauma », 2008-2013) et démontrées lors des congrès (2004-2013). Et c’est sur ce courant que je vais m’attarder dans le détail.

12

Les fondements de l’approche somatique pour la thérapie du trauma ont été élaborés par un spécialiste américain, Peter Levine (Levine, 1996, 1997). En Russie cette approche a été introduite par John Ingle, un disciple de P. Levine, et ensuite réalisée dans un programme international de formation professionnelle de longue durée pour des spécialistes de travail avec les traumas : les « traumathérapeutes ». Cette approche est spécifique parce qu’elle a été créée spécialement pour le travail avec les traumas de choc et leurs séquelles (TSPT). Le trauma est considéré dans l’approche somatique comme « une brèche dans une barrière qui sert à protéger l’homme de tout impact créant chez ce dernier des sentiments d’impuissance extrêmes et d’effroi lors de la confrontation avec un événement soudain qui représente un danger de mort potentiel, avec un événement qui dépasse ses capacités et qu’il ne peut pas contrôler, ni parer de manière efficace » (Zettl & Josephs, 2001).

13

En définissant le trauma P. Levine indique qu’habituellement on l’associe avec l’impact de tels événements de choc comme la guerre, la violence émotionnelle ou sexuelle, les accidents ou les catastrophes naturelles. Cependant beaucoup d’événements, dits « ordinaires » ou semblants être assez favorables au premier abord, peuvent se révéler tout aussi traumatisants. Par exemple, un accident de la route insignifiant conduit souvent à l’apparition des symptômes étranges, physiques et psychologiques qui compromettent la santé. Des procédés médicaux et des interventions chirurgicales standard (= benins/ banals ?) peuvent être vécus par l’homme comme étant extrêmement traumatisants, même si objectivement leur but est de maintenir la santé (Levine, 1997).

14

Dans le travail somatique avec le trauma, on attache beaucoup d’attention à la corporéité. Levine rend « justice au corps » et souligne que le trauma « vit dans le corps », et c’est dans le corps qu’il faut chercher l’accès à celui-ci, tout comme une voie pour sa guérison (Levine, 1997).

15

Le mécanisme du trauma est considéré comme une réaction naturelle inachevée de l’homme à un événement traumatisant, et il s’agit d’une réaction de l’organisme, d’une réaction du système nerveux. Ces réactions de défense, selon Levine, ont une base naturelle, instinctive, elles sont inhérentes à l’homme en tant qu’être vivant et s’expriment sous forme de réactions adaptatives de fuite, de lutte ou de figement (immobilité). L’idée d’inachèvement comme un mécanisme du trauma lie la thérapie somatique du trauma à la gestalt-thérapie. La thérapie somatique développe et complète cette idée, considérant un trauma comme une réaction corporelle concrète à un événement de choc.

16

La thérapie somatique nous décrit les symptômes de base pour les traumas :

  • Hyperactivation (palpitation, respiration accélérée, insomnie ou troubles de sommeil, confusion dans les idées, attaques de panique) ;

  • Impuissance : sentiment d’abattement, d’épuisement ;

  • Dissociation : du corps et de la conscience

  • Constriction (immobilisation)

17

Tous les autres symptômes sont les dérivés de ceux-là. On peut les énumérer : hypervigilance, hyperactivité, visions ou pensées intrusives, sentiment de peur, sensibilité extrême, intérêt réduit pour la vie, sentiment de perte de sens, capacité réduite de gérer le stress, attrait pour les situations de danger, incapacité d’aimer. Dans les conséquences plus éloignées des traumatismes on met les TSPT, des troubles psychiques comme les attaques de panique, des phobies, des dépressions, des capacités réduites à s’adapter, des réactions différées et prolongées au stress, ainsi que certains symptômes psychosomatiques comme les maux de tête, les douleurs au cou, au dos, les troubles digestifs, la fatigue chronique, etc. Cette liste de symptômes sert de repère pour les gestalt-thérapeutes dans leur travail pratique sur les conséquences du traumatisme.

18

Dans le sens pratique et théorique, la conception somatique des symptômes des traumas s’avère précieuse. Selon Levine, les symptômes traumatiques se créent suite à une réaction corporelle inachevée au niveau physiologique. Un symptôme traumatique contient ainsi une énergie arrêtée d’hyperactivation mobilisée par le système nerveux dans le but de permettre les réactions de défense à un événement traumatisant qui ont été interrompues.

19

Les symptômes traumatiques se forment dans les situations d’incapacité de s’opposer de manière efficace à un facteur extrême : impossibilité de résistance ou de fuite, impossibilité de décharge d’énergie bloquée dans un état d’immobilisation. Levine considérait aussi que la force destructrice du traumatisme dépend de l’importance individuelle (du sens) que porte l’événement traumatisant pour la personne concernée, tout comme de sa capacité à l’autorégulation (Levine, 1997).

20

Dans l’approche somatique, une grande place est réservée à la notion d’autorégulation. Elle y est définie comme une capacité biologique et psychique à une auto-organisation cohérente (Levine, Chitty, 1994). L’autorégulation assure la réalisation de la réaction de défense à une situation traumatisante, elle maintient l’homéostasie de l’organisme, rend possible la transition de l’hyperactivation à la normalisation. La capacité à l’autorégulation est liée au fonctionnement des ressources.

21

Le concept des ressources est une des notions essentielles dans la thérapie somatique pour la compréhension de la nature du trauma et du travail avec ce dernier. La ressource y est définie comme une perception positive de soi (perception du Moi, de ma force, de ma vitalité) chez le client qui s’accompagne de sensations corporelles positives. C’est ce qui aide l’homme à préserver et maintenir la perception stable de soi et de son intégrité intérieure face à un potentiel destructeur du traumatisme. Les ressources créent une base pour la stabilité, pour une certitude intérieure de la capacité à surmonter un événement traumatisant, elles servent de base pour les réactions adaptées de défense. Du point de vue de P.Levine, un trauma psychique se produit surtout à cause de l’absence des ressources individuelles nécessaires pour surmonter un événement traumatisant. La possibilité de réagir de manière efficace à une situation traumatisante dépend des ressources extérieures (déterminées par la culture, par le lien avec la nature, par le soutien d’un proche), des ressources intérieures (système de qualités intérieures, de capacités, y compris à une autorégulation interne) et des capacités formées dans l’expérience du passé suite à une résolution réussie des situations traumatiques.

22

La pratique de la thérapie somatique du trauma s’appuie sur la conception précitée de la nature de celui-ci et de ses symptômes. La guérison du trauma suppose l’achèvement des réactions traumatiques inachevées au niveau du corps et la décharge de l’énergie d’hyperactivation du système nerveux provoquée par un événement extrême. La thérapie somatique propose un travail pas à pas avec les symptômes traumatiques et avec les processus sous-jacents qui en émergent. Au cours de ce travail a lieu une résolution ou une transformation des symptômes, mais aussi du vécu du trauma. Et pour cela le client est amené à mobiliser ses ressources personnelles et à apprendre à les contrôler.

23

Contrairement à l’approche cathartique de la thérapie du trauma admise dans la psychanalyse et dans quelques autres courants, Levine croit que pour guérir des séquelles du traumatisme, il n’est pas indispensable de fouiller dans les souvenirs du passé et de les ranimer, car une forte douleur émotionnelle peut au contraire amener à une retraumatisation. La seule chose indispensable à faire pour se débarrasser des symptômes et des peurs c’est de renforcer les profondes ressources corporelles et physiologiques de l’homme et de les utiliser délibérément. Ces ressources font partie de la réponse instinctive à l’événement traumatisant, et celle-ci se manifeste dans les réactions corporelles spontanées de l’homme. Levine propose une nouvelle stratégie dans la thérapie du trauma : ne pas rejeter les instincts, mais s’y appuyer. Et il considère un comportement instinctif comme une origine de la capacité de l’organisme à l’autorégulation. L’autorégulation est aussi entendue comme une capacité naturelle de l’homme à l’autoguérison basée sur les ressources intérieures de son organisme (corps), l’éveil et la prise de conscience desquelles favorise la victoire sur le trauma. Au fond, la construction et/ou l’actualisation des ressources au niveau du corps dans le processus thérapeutique lance les processus guérisseurs d’autorégulation qui permettent d’éliminer les symptômes traumatiques et de résoudre un trauma. Dans l’ensemble, nous pouvons dire que le travail somatique a pour but de rétablir l’autorégulation naturelle de l’homme. La notion d’autorégulation naturelle dans l’approche somatique rejoint la notion d’autorégulation organismique en gestalt-thérapie. Levine complète cette notion en démontrant son rôle dans le processus de libération du trauma et en dévoilant les méthodes somatiques qui permettent d’activer l’autorégulation.

24

Les composantes essentielles du processus de résolution du trauma dans la thérapie somatique sont, d’une part l’achèvement des réactions de défense interrompues : des réactions de lutte ou de fuite et de sortie de l’état d’immobilisation, et, d’autre part, un contact humain étroit nécessaire pour soutenir dans l’organisme ce processus spontané d’achèvement. « Sans achèvement et sans résolution du trauma, les gens restent apeurés, isolés des autres et perdent l’espoir de guérison. Une fois que l’achèvement a lieu, ils sont capables de se transformer et revenir dans la société » (Lévine, 1996, p. 5). Le trauma affecte le contact avec les autres et peut amener à une forte limitation et perturbation des contacts. La guérison du trauma, comme on le sait, a plus de chance de réussir dans une communauté, l’union de personnes favorisant la libération de trauma. La résolution du trauma demande en outre une qualité particulière du contact dans la relation thérapeutique. Selon Levine, le thérapeute dans le travail avec le trauma doit savoir maintenir un contact particulier, un contact émotionnel et énergétique avec le client, et il doit savoir être présent de façon intègre et impliquée. Ce type de contact a reçu le nom de présence empathique et compatissante (Levine, 1997). L’idée de fonction thérapeutique du contact est très bien développée dans la gestaltthérapie aussi (Robine, 1994).

25

Attardons-nous maintenant sur les méthodes de la thérapie du trauma. Dans la pratique de la thérapie somatique du trauma, on utilise des méthodes de travail directives et/ou non directives. La méthode la plus importante est celle de « Somatic Experiencing » (Levine, 1997). P. Levine souligne que la réaction au traumatisme ne dépend pas tant de la force de l’événement vécu que de la façon dont la personne vit cet événement au moment où cela lui arrive. La guérison du trauma a lieu dans le processus du vécu de l’expérience qui inclut obligatoirement la composante corporelle. P. Levine disait : « La clef de sortie d’une situation qui paraît sans issue se trouve dans cette caractéristique qui différencie l’homme de l’animal : notre capacité d’avoir conscience de notre propre expérience. Quand nous pouvons ralentir et prendre conscience de tous les éléments de la sensation vécue (felt sense) et sentir ce qui accompagne les images traumatiques, nous leur permettons de se détruire par elles-mêmes avant que nous nous plongions nous-mêmes dans le vécu traumatique. Nous pouvons y avoir accès et commencer à transformer les motivations qui, dans le cas contraire, nous obligeraient à nous sentir de nouveau dans l’immobilisation traumatique » (Levine, Chitty, 1994, p. 12) L’expérience corporelle dans la thérapie somatique est considérée comme un potentiel individuel ou une ressource contenant des possibilités cachées de l’organisme quant à la guérison de trauma.

26

La méthode de « Somatic Experiencing » suppose un travail particulier avec les sensations corporelles : leur prise de conscience, le traçage et la transformation. Les symptômes du trauma et les signaux de guérison se manifestent au niveau des sensations corporelles. Au cours de la Somatic Experiencing a lieu une transformation des sensations traumatiques : les processus corporels guérisseurs se réveillent, des impulsions corporelles apparaissent, leur suivi assure le processus d’achèvement des réactions à l’événement traumatique. Au stade de l’achèvement on peut observer une décharge, une libération d’énergie qui a été mobilisée lors de la rencontre avec un traumatisme, et aussi le rétablissement de l’intégrité. Sentir ses sensations corporelles permet de réveiller les processus guérisseurs d’autorégulation. L’application de cette méthode conduit à transformer les réactions traumatiques désadaptées en adaptées, à rétablir les ressources intérieures sous forme de réactions de défense et d’orientation qui avaient été perdues dans une situation avec un danger de mort et qui avaient pris forme d’immobilisation traumatique.

27

La méthode de « Somatic Experiencing » comprend diverses techniques de travail avec les sensations. Il s’agit surtout de techniques qui ont pour but de scanner, de nommer et de tracer les sensations corporelles. La pratique de cette méthode a ses particularités. Au cours de la « Somatic Experiencing » on propose au client de sentir les sensations dans le corps, d’en prendre conscience et suivre la dynamique de leurs changements. Le thérapeute doit être attentif et percevoir les moindres signaux et réactions dans le corps dont le but est d’aider à libérer ou décharger une énergie excessive chez le client et d’achever le vécu et les réactions corporelles bloqués par le traumatisme. Il est important de sentir de manière continue les sensations corporelles. La difficulté du travail avec les sensations corporelles consiste dans le fait qu’il est extrêmement difficile de le faire de façon ininterrompue. L’arrêt peut se produire suite à une intellectualisation du client ou bien suite à ses tentatives de changer délibérément les sensations corporelles désagréables. C’est pour cette raison que le thérapeute cherche à développer chez le client la capacité de tracer les sensations corporelles sans les interpréter et sans essayer de les changer. La recherche des significations, des explications ou une transition trop hâtive aux actes chez le client peuvent interrompre ce processus guérisseur de « Somatic Experiencing ».

28

Ainsi la « Somatic Experiencing » est une technique de travail de processus sur les sensations corporelles, elle initie le développement du processus de perception continue des sensations et l’éveil des processus guérisseurs d’autorégulation grâce auxquels ont lieu la libération des symptômes traumatiques et la résolution du trauma.

29

En faisant un parallèle avec la gestalt-thérapie on peut dire que la méthode de « Somatic Experiencing » rentre en résonance avec la célèbre technique de prise de conscience corporelle. La méthode de « Somatic Experiencing » complète et développe la prise de conscience corporelle. Elle y apporte le processus de perceptions des sensations corporelles les plus profondes qui activent les processus guérisseurs d’autorégulation au niveau organismique. Il est à souligner que la « Somatic Experiencing » n’est pas une simple description des sensations corporelles, mais une conscience et une perception ininterrompues de la dynamique de leurs changements.

30

Il y a quelques spécificités pour réaliser ces techniques. La technique de prise de conscience corporelle suppose que le thérapeute pose des questions de ce type : « qu’est-ce que vous ressentez dans le corps ? Décrivez ces sensations ». Dans le cas de « Somatic Experiencing » le thérapeute demande : « Qu’est-ce que vous ressentez dans le corps ? » Le client peut répondre par exemple : « Je sens une tension ». Le thérapeute répond : « Continuez à sentir cette tension et observez ce qui se passe pour cette tension ensuite ». Il est important que la « Somatic Experiencing » soutienne le vecteur des changements. Il est à noter que lors de l’utilisation de la méthode de « Somatic Experiencing » s’éveillent non seulement des sensations corporelles, mais aussi d’autres composantes de l’expérience traumatique qui y sont liées : des sens, des images, des pensées, des mouvements qui sont inclus dans le travail avec le trauma.

31

Initialement, la méthode de thérapie somatique a été élaborée pour le travail sur les traumas de choc. Cependant son utilisation ultérieure a démontré qu’elle s’avère également efficace pour d’autres types de traumas : les traumas émotionnels, les traumas de développement, les réactions de désespoir, de perte, dans des situations de stress. Le vécu de toute situation traumatique comporte une composante corporelle que l’on peut utiliser dans le but de la guérison de trauma. Le travail pratique nous montre que la méthode de « Somatic Experiencing » est assez universelle, elle s’intègre assez bien à la gestalt-thérapie, elle peut être utilisée pour la résolution de différents problèmes du client, surtout pour ceux qui possèdent une composante psychosomatique. Elle crée la possibilité de s’adresser à une expérience corporelle réelle du client dans le but de ses changements psychologiques. Cette méthode permet de faire intervenir des ressources corporelles profondes dans le processus de psychothérapie. La méthode de « Somatic Experiencing » révèle l’expérience du vécu du présent au niveau des sensations corporelles ce qui répond aux principes de la gestalt-thérapie. On peut dire que la thérapie somatique du trauma et la gestalt-thérapie s’appuient sur des principes communs de la pratique psychothérapique : l’importance de l’expérience du présent (« ici et maintenant »), l’appui sur l’intégrité de l’expérience, le travail sur la prise de conscience, l’orientation sur le processus, l’utilisation des mécanismes d’autorégulation. Cela donne de bonnes raisons pour l’intégration des méthodes de la thérapie somatique du trauma à la gestalt-thérapie. L’utilisation des méthodes de la thérapie somatique dans le champ de la gestalt-thérapie rend celle-ci plus efficace et plus profonde dans le domaine de la thérapie du trauma. La thérapie somatique permet d’utiliser les processus corporels naturels de guérison pour la résolution du trauma et donne des méthodes pour ce travail. La gestalt-thérapie donne des moyens pour le travail avec le trauma dans le champ du contact compte tenu de l’interaction « organisme – environnement ». Le travail pratique a démontré la productivité de l’intégration de la méthode de thérapie somatique à la gestalt-thérapie. Et enfin j’aimerais citer encore un argument pour l’intégration de ces approches : le travail somatique avec le trauma dans le champ de l’approche gestaltiste nous permet de voir du Beau. « Le trauma, lorsqu’il est résolu, est un cadeau merveilleux qui nous ramène au monde naturel du flux et du reflux, de l’harmonie, de l’amour et de la compassion » (P. Levine, 1997, p. 21 (46 en fr.)).

 

Publié dans santé, techniques

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article