L'homme qui rajeunit les cellules
Les résultats sur le rajeunissement des cellules sénescentes obtenus par l'équipe de Jean-Marc Lemaitre, à l'Institut de génomique fonctionnelle de Montpellier, sont salués par toute la presse, scientifique ou non. À 48 ans - mais il en fait beaucoup moins, car "la recherche maintient jeune", plaisante-t-il -, ce chercheur a réussi à confirmer son hypothèse de départ : le vieillissement est réversible.
Enfant, Jean-Marc Lemaitre passait beaucoup de temps à observer les mares, à suivre les transformations de la nature. Une fois étudiant, il s'est naturellement intéressé à la biologie du développement. "En 2006, j'ai déposé un programme intitulé Plasticité génomique et vieillissement et l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) m'a soutenu sous la forme d'un programme baptisé Avenir. Je n'étais pas convaincu des théories du vieillissement en cours : selon elles, c'était l'accumulation de mutations sur le génome au fil des décennies qui faisait vieillir la cellule et finissait par l'empêcher d'assumer ses fonctions. Je pensais que les différents programmes que la cellule développait en fonction de l'environnement (stress, alimentation) pouvaient être annihilés, que le fait de ramener des cellules à un état embryonnaire et de les reprogrammer devrait permettre de combattre la sénescence."
"Cocktail rajeunissant"
Le vrai départ de ses travaux remonte à 2007, lorsque l'équipe de Shinya Yamakanaka a mis au point des cellules souches non embryonnaires, les Induced Pluripotent Stem Cells (IPSC), dotées des mêmes potentialités que des cellules souches embryonnaires. Ces chercheurs ont réussi à reprogrammer des cellules adultes, grâce à un cocktail de quatre gènes insérés dans leurs noyaux. Une nouvelle voie s'ouvrait pour Jean-Marc Lemaitre. Mais les travaux japonais portaient sur des cellules adultes et nul n'avait réussi, avant lui, à obtenir le même résultat avec des cellules très âgées. "Car, quand elle atteint le stade de la sénescence, la cellule arrête de se diviser, explique-t-il. Cette dernière étape du vieillissement, avant la mort cellulaire, était en général considérée comme un point de non-retour."
Son équipe voulait franchir cette barrière. Elle a testé diverses drogues et autres procédés pour compléter le "cocktail rajeunissant" des Japonais. Rien n'y faisait. Elle a finalement ajouté deux gènes supplémentaires connus pour jouer un rôle important dans la pluripotence de l'embryon. "Ce sont des gènes très actifs aux premiers stades de la vie et dont l'action s'éteint spontanément une fois que les cellules sont engagées dans un programme de différenciation, qu'elles deviennent des neurones, des cellules de peau, de foie ou de muscle", précise-t-il.
"Médecine régénérative"
Et là, bingo ! Les cellules âgées ont commencé à se multiplier puis à retourner à l'état de cellules souches embryonnaires. Mais, avant de crier victoire, les chercheurs devaient encore s'assurer du véritable rajeunissement de ces cellules. En d'autres termes que les cellules de la peau prélevées sur des centenaires, après être retournées au stade embryonnaire, gardaient les caractéristiques de la jeunesse après leur différenciation en cellules du rein, nerveuses, cardiaques ou autres. Cela a été le cas.
"Cette découverte va permettre de développer de nouveaux modèles pour étudier le vieillissement et d'améliorer les possibilités de la médecine régénérative", déclare avec beaucoup de calme le chercheur. Car il sait que beaucoup d'obstacles restent à franchir. Mais quand on le pousse à rêver, il dit qu'il espère que cette technique permettra de "créer" des cellules capables de produire de l'insuline pour soigner les diabétiques ou de régénérer le coeur des victimes d'infarctus du myocarde. Cette thérapie ne nécessitera pas de traitement anti-rejet comme les greffes actuelles. "J'espère que, grâce à cela, on pourra aider les personnes âgées à vieillir beaucoup mieux", conclut cet homme, comblé par ses travaux et qui regrette juste le peu de temps dont il dispose pour lui, sa femme et ses trois enfants.